Ils sont corrects... les occupants de 1940 à 1944
Ce texte “souvenirs de guerre” a été écrit par Feu Géo Lancelot, qui me l’a donné le 11 novembre 2009. “Ils sont corrects” étaient les paroles naïves de beaucoup de gens qui n’avaient pas eu à souffrir de leurs sévices. C’était au plein cœur de la guerre, ou plutôt pour nous - population rurale du Poitou et des Charentes - plus ou moins éloignés de la tempête - au plein temps de l’occupation allemande, qui sanctionnait selon le bon vouloir de la Kommandantur installée à chaque chef-lieu de canton, dans l’ensemble de la zone occupée.
La kommandantur était casée dans cette maison,
les soldats logeaient à l'école privée à côté.
Effectivement ils étaient corrects ces soldats ennemis qui avaient pour mission d’essayer, tant bien que mal, de se faire admettre par la population qu’ils étaient sensés protéger du terrorisme communiste, mais qu’ils n’hésitaient pas à brimer et à pressurer afin que ne souffre de la faim, ni la troupe, ni les chevaux réquisitionnés dans l’ensemble de la région et des départements voisins...
C’était l’occupation...
De nombreuses anecdotes de ces années là pourraient être contées ; des tristes hélas... mais aussi des bien drôles, car sous leur rigueur, leur discipline et leur “sûr de soi”, les fiers prussiens assurés de leurs prérogatives, ne voyaient pas que le bon peuple français asservi sous leur botte, n’hésitait pas à contourner les lois et à tricher le plus possible ; ainsi combien de cochons ont été abattus clandestinement - ce qui permettait de se sortir de misère ; combien de moulins à farine clandestins ont permis de faire des galettes de pain qui valaient oh ! combien mieux que celui auquel on avait droit avec les fameux tickets d’alimentation ; combien de trocs plus ou moins illicites se tramaient aux yeux et à la barbe de ces lourdauds qui n’y voyaient que du feu...
«Encore un q’les boches auront pas» était le mot d’ordre.
Leur présence était pourtant pesante, et si la cohabitation, qui se voulait être “collaboration” se déroulait le plus possible sereinement, grâce à beaucoup de patience et d’astuce, nous nous sentions toutefois occupés, donc épiés, surveillés et constamment bien mal à l’aise.
Concert de la clique allemande face au Café du centre.
"J’étais adolescent à cette époque... Je retrouvais chaque jour mes compagnons de jeu, jeux auxquels nos occupants - surtout les jeunes - auraient bien voulu se mêler. Si un ballon avait la malencontreuse idée de dévier de sa trajectoire “française” il était très vite intercepté par une botte noire toute prête à participer à nos ébats.
Triste période où même le sport et les moments de détente avaient leurs frontières et leurs obligations nationales.
Bien tristes et surtout très redoutables étaient les perquisitions dans tous les domaines, et plus particulièrement les vérifications d’identités, car étaient particulièrement recherchés à cette époque les personnes d’origine juive, ainsi que celles qui pouvaient appartenir à des nations ennemies engagées dans le conflit contre l’Allemagne.
C’est ainsi qu’un jour, apparurent sur le coup de onze heures trente, à la porte d’une discrète maison mi-paysanne, mi-bourgeoise de la banlieue de Villefagnan, dissimulée au fin fond d’une cour typiquement charentaise, deux officiers allemands, galonnés d’or, casquettés, gantés de cuir “Origine France”.
Que venaient-ils enquêter dans cette petite cour fleurant bon le chèvrefeuille, à cette porte où la glycine mêlait ses pampres aux feuilles roussies de la vigne vierge ?
Ils s’étaient brusquement figés, pris sous le charme de cette nature toute en douceur, se demandant sûrement quel accueil allait leur réserver cette ennemie qu’ils étaient venus arrêter ; devaient-ils sortir leurs armes ?... N’étaient-ils pas surveillés, mis en joue, risquant à tout moment d’être assassinés ; dans cette France hostile, ils se devaient d’être prudents !... J’ai parlé d’officiers.
Mais que cache l’uniforme du civil d’avant-guerre ? “Un ingénieur, un médecin, un professeur, peut-être un homme d'Église !...” Quoiqu’ils fussent, de toute façon ils se devaient d’agir, les ordres sont ce qu’ils sont.
D’un geste plein d’autorité, le capitaine fit signe à son lieutenant de frapper à la porte, tandis que lui, deux pas en retrait, la main nerveusement posée sur la crosse de son revolver, l’air anxieux, se tenait prêt à toute éventualité !... L’attente fut de courte durée, dans un “chuintement” de gonds en manque de lubrifiant, la porte s’ouvrit, laissant apparaître dans l’embrasure une dame d’un certain âge, au minois agréable, quoique déjà flétri par une cinquantaine affirmée. Il s’agissait de l’une des maîtresses de ces lieux, car elles étaient quatre à occuper ce “home” au style un peu rococo, seyant parfaitement à ses hôtesses.
Intriguée mais loin de perdre la face, la dame s’enquit auprès de ses deux importuns visiteurs, du but de leur intrusion dans l’enceinte de sa cour. Le capitaine en donna l’explication : dans un garde à vous impeccable, ayant enlevé sa casquette d’une main, l’autre toujours posée sur la crosse de son arme - il ne fallait pas risquer de se faire prendre au dépourvu -, l’homme dans un français guttural et hésitant, tenta d’expliquer qu’il venait pour arrêter une personne, signalée par la gestapo, et habitant cette maison, plus qu’indésirable sur le sol français occupé, puisqu’il s’agissait d’un individu de nationalité anglaise donc ennemi du Reich.
Quelle ne fut pas sa stupéfaction d’entendre son hôtesse, l’invitant à entrer dans un allemand impeccable, elle y ajoutait un sourire narquois qui n’augurait rien de bon au lieutenant resté en arrière, toujours prêt à intervenir en cas d’attaque inopinée !
L’entrée en terrain ennemi fut des plus cocasses. Inconvenantes se trouvaient être les bottes d’assaut, foulant les tapis patinés par le temps, qui laissaient apparaître à de rares endroit une parcelle d’un vieux parquet de chêne plus que centenaire, rutilant de propreté. Dans le salon où on les avait invité à entrer, se trouvaient trois autres dames. La plus jeune, “quel euphémisme”, je dirais plutôt la moins âgée, était la sœur cadette de l’intervenante ; elle se tenait raide auprès d’une dame d’un certain âge, qui par la ressemblance, ne pouvait être que la mère des deux autres ; leur rigide attitude semblait attendre la suite.
Et voilà ! ma tante s’exprima, toujours dans un allemand impeccable. L’hôtesse, s’adressant aux officiers subjugués par ce qu’ils découvraient : “Elle est de nationalité anglaise, c’est bien elle, l’ennemie que vous recherchez ?”
Dans l’embrasure d’une fenêtre, protégée des rayons trop ardents du soleil printanier par un voile de mousseline bleu pastel, une adorable petite vieille, les cheveux d’une neigeuse blancheur, légèrement ondulés retenus par un bonnet de dentelle, habillée d’une longue robe noire rehaussée d’un caraco vieux rose, se balançait tranquillement dans un rocking-chair d’un autre âge, une bible ouverte sur ses genoux qu’un plaid emmitouflait. Ainsi se présentait l’ennemie...
Plus que gênés de leur présence en ce lieu de paix fleurant la lavande, confus de leur intrusion, nos deux cerbères n’eurent plus qu’un désir : celui de fuir.
Après un garde à vous impeccable et un demi tour difficile à réussir, le salon étant exigu, ils se retirèrent l’air contrit sans oublier toutefois de souhaiter bonne santé et longue vie à cette si charmante ennemie.
La victoire était de son côté… Elle vécut encore quelques mois entourée des soins vigilants de ses nièces… Car quelques jours avant l’intrusion prussienne à son domicile, la noble dame anglaise venait de fêter ses cent ans...
Merci ami Géo !