L'évolution de la charrue à traction animale

Le labour en question
La qualité du labour impacte fortement la qualité de la récolte. La plante doit trouver sa nourriture et la végétation de surface ne doit pas être un parasite. En l’enfouissant, de même que les chaumes, c’est autant de gagné pour la suite.
Le labour consiste alors à gratter la terre à l’aide d’un pic, ou la déchirer en billons (sillons) avec l’araire (arreau) plus qu’à la couper pour en retourner de belles tranches à la charrue. Dans ces petits sillons, quand on emblave, on répand le fumier qui est très substantiel et très actif au moment même où l’on sème. Puis on fait passer la charrue pour recouvrir les sillons.
Il existait deux catégories de laboureurs : le laboureur à bœufs, le plus riche, propriétaire le plus souvent d’une ferme, qui est aussi entrepreneur de labour ; et le laboureur à bras, modeste propriétaire d’un petit lopin ou journalier...


L'araire, tirée par des bœufs exclusivement en Angoumois,  était parfois équipée d'un train avant en bois et de planches latérales pour former des billons.

Au début du XIXe siècle, le sud du Poitou et l'Angoumois utilisent encore l’araire, avec ou sans avant-train. Cet outil, en bois, est composé de trois parties essentielles : le mancheron tenu par la main de l'homme pour guider l'araire ; le sep, pièce centrale en bois qui entre en contact avec la terre, ouverte par la reille qui y est fixée - sorte de soc qui vient coiffer à coups de maillet l’avant du sep ; l'age, pièce généralement recourbée, relie l'araire au joug auquel sont attelés les bœufs. Mais l’outil local reçoit  comme en Angoumois des améliorations sous la forme d’oreilles en bois - de simples planches dont l’écartement se règle par des chevilles de bois. Elles permettent d’écarter la terre de chaque côté du sep pour former de plus amples sillons.

Les systèmes sans jachère qui se mettent progressivement en place sont performants, mais ils sont limités par la faiblesse de l'outillage et des moyens de transports. Après l’invention du soc et versoir métalliques vers 1760 (système brabant) et les inventions du début du XIXe siècle comme la charrue Dombasle (ci-dessous), célèbre par son régulateur, vont faire progresser la qualité du labour. La terre n’est plus grattée mais bel et bien retournée. Le perfectionnement ira vers l’avant-train tout métal réglable à volonté par l’action d’une simple manette, avant-train qui se greffe sur les anciennes charrues dont l’age est en bois. Enfin, c’est Delaunay qui invente la charrue « brabant double », charrue réversible qui autorise le labour à plat et non en planches. Notons que les chevaux et les charrues « brabant double » n’apparaîtront en nombre dans notre contrée que vers la fin du XIXe siècle.

Il y eut l'araire, puis il y eut la charrue...
Sur l'araire, tous les éléments sont symétriques par rapport à l'axe de l'age. L'araire creuse des sillons peu profonds et rejette la terre de chaque côté. En Charente, jusqu'à la Révolution, les versoirs étaient de hauteur différente selon leur positionnement à gauche ou à droite. Au contraire, la charrue dont les éléments sont installés sur le même côté de l'age, laboure en profondeur et rejette grâce au versoir la terre d'un seul côté. Elle demande moins d'effort de traction grâce notamment à l'emploi d'un coutre. Mathieu de Dombasle, vers 1835 avec l'invention d'un régulateur, a permis de faciliter les réglages.

Sur l'invention du versoir en fer ? (Par M. Ch. Morrey)
L'Ecossais James Small passe dans l'histoire de la charrue pour l'inventeur de versoir en fer. Il s'établit à Black Adder Mount dans le Berwickshire, en 1763 et y mourut en 1793. C'est dans l'intervalle de ces trente ans qu'il répandit ses charrues où le fer entrait de plus en plus, jusqu'au point qu'elles ont fini par être entièrement et uniquement en ce métal.
En quelle année, la charrue de Brabant commença-t-elle à substituer le versoir en fer au versoir ancien qui était en bois? Nous n'avons aucun fait pour préciser cette date, mais voici une circonstance qui peut fournir un éclaircissement. Rue de Malines. à Louvain, la maison numéro 2 porte pour enseigne : In de ploege (à la charrue) ; une charrue entièrement en fer avec un versoir concave et un soc très pointu séparé mais très proche du coutre, versoir évidemment en fer, se trouve dans l'enseigne, laquelle porte la date de 1795. Ce serait donc au moins du temps de James Small que le versoir en fer aurait été introduit en Belgique, s'il n'y était pas auparavant. Ce qui serait intéressant à rechercher.Et y eut le brabant double
Le système brabant double (charrue réversible) est une invention française (Delahaie en 1856) qui permet le labour à plat.  

1. Charrue Dombasle

Christophe Mathieu de Dombasle était un ancien élève de l'École polytechnique. Il est né à Nancy en 1777 et décédé le 28 décembre 1843. Membre de la Société d'Agriculture de Paris en 1834 et correspondant de l'Académie des Sciences. Il crée une sucrerie de betteraves et une distillerie. En 1822, on lui confie, pour vingt ans, la ferme de Roville dont il fait une ferme expérimentale et une école d'agriculture privée. "Chantre" de l’agriculture raisonnée, il théorise le travail agricole et son organisation, et met en pratique ses réflexions sur son domaine. La pratique de l’agronome lorrain favorise donc l’émergence, au sein de la ferme-exemplaire, d’une organisation rationnelle du travail, pratique innovante face à l’agriculture traditionnelle.
Le régulateur Dombasle a pour fonction de modifier l'entrure de la charrue et par conséquent de régler la profondeur du sillon. Il sert aussi à modifier la largeur de la raie ouverte par le soc. Le régulateur de M. Dombasle est une boîte de fer qu'embrasse un châssis sur lequel elle peut glisser indistinctement à gauche ou à droite ; cette boîte est traversée par une tige à crans qui se meut de haut en bas. Une tringle de fer attachée à un point de l'age vient aboutir à l'extrémité inférieure de la tige. Le mouvement de bas en haut, ou de haut en bas, règle la profondeur du sillon ; celui de droite à gauche, ou de gauche à droite, règle la largeur de ce sillon. La profondeur et la largeur relatives des sillons sont très importantes à considérer car ce sont elles qui déterminent la quantité du sol arable qui est soumise par le labour à l'action fécondante de l'air.

2. Charrue à avant-train



La dombasle a été complétée d'un avant-train. L' avant-train a pour but principal de rendre beaucoup plus facile et plus sûr le maniement de la charrue. Avec une Dombasle sans avant-train, un laboureur vigoureux est obligé d' employer souvent toute sa force pour maintenir sa charrue convenablement. Deux chevaux bien dressés attelés à une charrue Dombasle à avant-train laissent au charretier peu de chose à faire, surtout quand la terre n'est pas difficile.

3. Charrue "tout métal" Amiot à 1 roue


4. Charrue brabant simple


 
Les charrues brabant simples existaient des les années 1830. Elles se distinguaient parce que toutes en fer, et par leur train avant à régulateur incorporé.

5. Charrue brabant double Candelier



C'est Delahaie qui serait l'inventeur de la charrue brabant double, donc réversible (C'est avec un sentiment bien pardonnable d'orgueil national, que nous avons vu les charrues double-brabant, de M. Delahaye, soutenir honorablement la comparaison). Pourtant : le brabant double de Fondeur, maréchal artisan dans l'Aisne, date de 1825 et apportait une transformation, pour l'époque, révolutionnaire... Il était disponible sur le marché en 1860 au concours de Saint-Quentin.

Qui croire ? Parce que dès 1850 nous trouvons déjà des utilisateurs... Six charrues barbant double sont entrées en lice en 1850 au concours agricole de St-Quentin :
N° 1. Une charrue brabant double en fer, appartenant à M. Legrand Charlemagne, propriétaire-cultivateur, à Grougjes. Cette charrue paraissait solidement établie, mais elle avait un grand défaut, c'était de ne pas assez retourner la bande de terre ce qui faisait qu'une grande partie retombait dans ta raie. La force demandée équivaut à 350k.
N° 2. Une charrue appartenant à M. Grain-Lemaire, serrurier mécanicien, à Guise. C'est un double brabant en fer, exigeant 280 kil. ; elle a paru à la commission très bien travaillée ; quoique solide , il y avait de la légèreté et de l'élégance dans la construction. La terre était bien divisée, retournée et formant un angle de 45 degrés. Cette charrue a aussi un avantage, c'est qu'elle n'a qu'un coutre au lieu de deux ; elle coûte 180 fr.
N° 3. Charrue double brabant en fer, deux coutres exigeant 340 kilos, elle est plus forte que la précédente, elle est destinée aux défrichements, elle appartient aussi à M. GrainLemaire, possesseur du n° 2.
N° 4. Brabant double en fer, à M. Lalaux, cultivateur' propriétaire, à Urvillers, cette charrue parait assez énergique, mais il y a dan» la confection quelque chose de défectueux qui fait qu'elle exige 300 kil. de force d'après le dynamomètre. La terre retombe aussi dans la raie.
N° 5. Double brabant en fer, appartenant à M. Monfourny, de Uallon. Le poids indiqué par te dynamomètre allait à 280 kil. La terre était bien divisée et retournée, le fond de la raie bien nettoyé.
N° 6. Une charrue double brabant en fer, appartenant à M. Paris, mécanicien, à Saint Quentin. La force de traction marquait du dynamomètre 250 kil. La terre était assez divisée, Mais elle laissait à désirer pour le renversement, on aurait désiré que le fond de la raie fut mieux nettoyé, néanmoins c'est celle qui exigeait le moins de force de traction.

En 1835, un autre fabricant avait trouvé l'astuce du retournement.
La révolution ainsi commencée, dans le système d'assolement, a fait naître l'idée de chercher, dans les instruments aratoires, perfectionnés, des moyens de rendre les cultures plus faciles.

(1835)
La charrue à oreille mobile, le binot, destiné à nettoyer les terres et à enfouir les semences ; la herse à dents de bois, celle à dents de fer ; le rouleau uni et celui à dents, avaient été jusqu'alors les seuls instruments aratoires en usage dans l'arrondissement; on se sert aujourd'hui, assez communément, lorsque la nature du sol le permet, de la charrue flamande, dite Brabant, à oreille fixe ; de la petite charrue à versoir, dite de Derry. C'est surtout dans le canton d'Albert que cette dernière charrue est en usage. On trouve assez communément, dans les exploitations importantes, la charrue à butter ; mais parmi les nouveaux instruments, le plus généralement adopté, celui qui réunit le plus de suffrages, est l'extirpateur, ou herse à cinq fers. Cet instrument nettoyé parfaitement les terres ; c'est un intermédiaire entre la herse et le binot.
Un cultivateur de l'arrondissement, M. Forget, propriétaire à Barleux, vient d'inventer une charrue à trois socs; elle a reçu l'approbation des cultivateurs voisins, qui ont donné à l'inventeur une fête pour célébrer cette découverte. Cette charrue deviendra d'un usage général quand elle sera connue. Elle est surtout propre à relever les terres battues par les pluies, à les purger des herbes qui les infectent : alors elle ne fait qu'un labour superficiel ; mais au moyen d'une mécanique très-simple, on peut donner au labour toute la profondeur qu'on peut désirer. Cette charrue est aussi employée avec avantage à enfouir les grains semés ; elle opère alors comme le binot ancien , mais elle fait trois fois plus d'ouvrage, sans exiger plus de forces ; elle ne laisse après elle aucune trace de sillons. On s'est aussi servi du binot à cinq socs, mais étant lourd, il exige plus de chevaux ; embrassant et devant soulever une plus grande quantité de terre, il rencontre souvent des obstacles qui rendent sa direction difficile. On est en général d'accord qu'il ne peut être utilement employé que dans des terres déjà ameublées.
M. Forget est encore l'inventeur d'une charrue, ou Brabant, auquel on a donné son nom. C'est une charrue à double soc, qui remplace heureusement le Brabant-Flamand à grand déversoir. Elle a, sur l'ancien Brabant, l'avantage de labourer, en allant et venant, et à telle profondeur que l'on veut. Ce n'est que dans les vallées et dans quelques terres profondes que l'on peut jouir de cet avantage, pour la culture de céréales. Mais le Brabant-Forget est surtout d'une grande utilité pour la culture en grand de la betterave. Comme cette plante exige une terre profondément labourée, avec excès de fumier ; qu'elle ne vit pas aux dépends de la superficie de la terre, dans laquelle elle végète, la présence de la terre rouge, ( argile chargée de fer ) que ramène cette charrue, n'a pas l'inconvénient qu'elle présenterait pour une culture de céréales ; au contraire elle procure un moyen certain d'amélioration, et après quelques années, la portion de terre arable qui existe aujourd'hui, sera doublée en profondeur.


Un instrument de labourage fort usité aujourd'hui dans le nord de la France est le brabant double ou charrue à double soc, et malgré la critique qu'en font certains praticiens, son usage semble s'étendre tous les jours. Il est surtout fort goûté des domestiques auxquels il permet de se promener librement derrière leur charrue, tandis qu'avec le brabant simple, ils sont assujettis à avoir constamment les mains sur les mancherons. Le principal avantage du brabant double est de permettre d'aller et de revenir sur le même sillon et d'éviter ainsi les trois grands inconvénients du brabant simple, à savoir les traînées pour reprendre le sillon qui font perdre du temps, les arrosements et les dérobements qui laissent des inégalités à la surface des terres labourées, et enfin les labours à contre pente qu'on ne peut pas toujours éviter avec le brabant simple. En outre avec le brabant double, l'enfouissement des fumiers est rendu facile, d'abord par l'élévation de l'avant train qui ne ramasse pas la paille comme le fait le patin à sabot ou à rouelle, ensuite par la liberté qu'a le conducteur.

Plusieurs constructeurs le fabriquent aujourd'hui avec succès, parmi eux nous citerons M. Fondeur constructeur à Jussy par Flavy le Martel (Aisne) : charrue brabant double exposée au concours général agricole de 1860...

6. Charrue brabant double BAJAC (ci-dessous)

7. Charrue brabant double bisoc
 
8. Charrue brabant en position en transport

 
9. Labour avec une charrue brabant double

 
10. Labour avec une charrue brabant double

11. Labour avec une charrue brabant double
 
 



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