Patois des environs de Ruffec
Texte déniché dans le bulletin mensuel de l'office de l'enseignement postscolaire, édité en novembre 1926 par l'inspection de l'enseignement primaire de Ruffec (Charente). Cette histoire met en avant le souci d'un père de famille quant au devenir de son fils qu'il veut heureux et bien casé. Facteur ou receveur des postes serait mieux qu'ouvrier agricole, mais son fils est un élève fainéant qui, cependant, réussira au "chemin de fer" près de Paris... Des nuées d'enfants ont, surtout après la seconde guerre mondiale, suivi cet exemple. "Et tous n'étaient pas forcément des lumières" comme racontit LAMPALUIL. Le certificat
Le père Nestor Bélouyette, garde-champêtre à Veurgonzat, une petite commune de la Charente qu'on trouve à main gauche quand on va de Veurdille à Peuréaux en passant par Keurcoûme et les Aihots, se rendait à l'école miste de Mossieu Duracuir, peur cheurcher soune enfant Arnest qu'était punit.
Bonjhour, vat-ou, M'sieu i'métre, quo dissit Bélouyette, en pourtant la main au salut d'une vieille casquette pissouse qui lui sarvait de coéffure ?
- O va coume ol est mené, que ai répondit M'sieu Duracuir.
- Et thiel arsenic d'Arnest, qu'a ti donc encore fait peur ét' punit ?
- M'en parlez pas, quo li déscit l'instituteur, l'a fait sè fautes à sa dictée et l'a fait marier Bounapart' avec Jheanne Darc dans sa composition d'histoire.
Le père Bélouyette béssit la tête. Ol était un bon gâ, qui ne s'en noyait pas sûr la terre ; l'avait la dalle en pente et jhamais, au grand jhamais, l'avait eu poûr quand une chopine l'y passait entre le nez et le menton. Mé Bélouyette avait une idée dans la cabèche.
Le volait pousser Arnest peur en fére une houme de piace, fac teur ou receveur de l'enregistrement.
- Le s'rat plu hureux qu'iné et mes frères, disait-y.
L'ara pas besoin de s'échiner toute une année à éborier des grapauds ou à passer dans les villaghes, avec un saint-bois au boa peur compter les chins de chasse ou pourter les feuilles d'impôts. Peur ça, o ni faut de l'instruction. Ossi, toutes les fé que Mossieu Duracuir ai disait - et le disait souvent - que son drôle était un sotrà, le père Bélouyette béssait l'nez, rentrait les épales et sa piaque se se mettait à r'brousse-poél.
Mossieu Michât, le Mer de la Coumune, au contrére, était tout à fait content :
- Tant meux, disait-y, moins Arnest n'en sarat, moueso vaudrat. O faut dé bra peur cultiver la terre et tous thiés drôles qu'avant leur certificat nous quittant peur aller s'embaucher à la ville. Mon métayer n'a pas trouvé d'valet peur la Saint-Beurnabé et l'est pas sûr d'en trouver un à la Saint-Michel peur fere ses couvrailles.
A quoi sert-ou, y m'demande, d'apprendre tant d'afféres, les quatre rég-illes, les fractions, l'orthographe, la ghéographie ? Sais-y tout ça me ? L'addition, la soustraction, o passe encore, la multiplication, n'en faut pas trop et peur la division, y en ai pas besoin, pusque mon fî unique, Bap-tiste, hériterat de tout ! Quand y voyaghe, l'chef de gâre me doune mon billet et quand y vaut écrire, mon secrétaire me fait mes lettres.
M'empêche-tou d'aver la pu belle bonasse do pays, 150 bouséslées de terre qui ne devant reune à personne, 20 bêtes à cornes dans moune éthurie, sans compter mon métayer, et d'êtr' dépeux vingt ans le Mér d'une coumune de 345 habitants ?
Mon pauv' Bélouyette, tu f''rais ben meux de sorti toune Arnest de thielle école et de le piacer chez mon métayer coume petit bistreau où 1' serait nouri et bianchi et où l' gagnerait une petite pièce peur son dimanche.
- Ol est inutile d'insister, M'sieu Michat, que répondait thiel entété de Bélouyette. Arnest s' rat un homme de plume ou même thieuque chouse de mieux.
Mossieu Duracuir n'était pas si assartané ; l'avait d' la minfiance. « Ol est pas que thiau drôle d'Arnest était sott, mé peur les leçons, l'avait un poél clans la main ; un poél ! et qu'est tou qui dit ? une peuruque ! »
En atendant, le restait le sèr, après les autres, peur le certificat d'études qui devait s' passer à R' ffec au mois de Jhin.
Le jour rendut, le père Bélouyette prenit sa blouse neue, son chapeau de pa-ye, fit reluser sa piaque au tripoli, et le condusit Arnest à l'école de R'ffec, qui s'trouve sû la route nationale à coûté de l'Hôtel de Mossieu Dournois.
Les affères aviant l'air d' s' passer pianghement. Arnest n' s' couneussait qu'une faute à sa dictée, avait fait, disait-y, presque tout son premier problème et la moitié d' l'autre et ne s'était trompé qu'un p' tit à sa composition d' sciences, pasque l'avait pris un thermomèt' peur une pompe refoulante.
Le pèr Bélouyette était si content qu' l'avait été trois fés vider chopine à l'hôtel do Châgne-Vert où l'avait dételé.
Tout d'un cot, le brut de 1a cour s'arrétit. L'Inspecteur, un grand Mossieu barbut qui t' nait une feûille de papier, s' mettit à lire : «Asmissibles aux épreuves d'oral, que l' déssit. «Et les noms des drôles se méttillant à défiler. Thio thi d'Arnest n'y était pas... Bélouyette n'avait pas compris, mé Duracuir avait bon compris, li. Le courit à Arnest : «Bougre de bourrique, que l' ci disait, y t' zou avais ben dit que tu s' rais pas reçut... Ah ! t'as voulu ren fére, paur sott. Tam pis peur té !»
Bélouyette attelit sa j' h' ment nègre et partit avec Arnest, peur Veurghonzat, le thieur ben triste.
- Es-tu reçut, mon drôle, quo dessit le mére quand le le croizilant sû la route de Thalugheau ?
- Non, Mossieu, quo répondit Arnest, je suis échoué.
- Tant meux, moune amit, tu s' ras des bra d' mé peur la culture. Ta piace est foutue.
Seulement, Mossieu Michât s'était mis le clé dans l'oeil. Au jhour d'anneut, Arnest est à Jhuvisy, dû coûté d' Paris, au ch' min d' fér. Le pousse les wagons sû la ligne, où l' se fait, sans avér son çartiflcat, des jhornées de vingt-cinq francs ; sans êtr' naurit, ol est vré, et encore moins bianchit.
Paul HOCHON.