Eugénie Gervais sauve cinq otages (p. 2)

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La Faye le 17 juillet 1986
C'était un 28 juillet 1944 à cinq heures du matin. Nous étions réveillés à coups de crosse de fusil et «ya ya ya». Lorsque j'ai ouvert la porte de ma chambre, j'ai eu la surprise de ma trouver face à une baïonnette dans [sur] la poitrine. C'était donc la «Feld Gendarmerie» d'Angoulême qui était descendue, et parmi eux il y avait des Français qui étaient dans la milice. Je dois également dire que nous étions occupés [à La Faye] depuis deux ans. Et tous les soirs après le couvre-feu ils faisaient une ronde dans les villages.
Cette soirée là, la malchance a voulu qu'un jeune voisin, se promenant dans les rues (sic), ils ont donc cru au maquis. Après une poursuite sans résultat, ils ont fouillé maisons et greniers sur leur passage. Ensuite ils nous ont placés face au mur, inutile de vous dire que derrière nous les armes ne manquaient pas : mitrailleuses, fusils, grenades.
Les cinq otages étaient Edmond Lambert, 40 ans, maintenant décédé; Raoul Gaston Fély, maintenant 75 ans, et un cousin qui était en vacances, Jean-Marie Epardeau, étudiant, maintenant 60 ans; Robert Dechambe, 74 ans et Jean Portejoie, 58 ans.
Tout en faisant leur perquisition, ils sont allés chez une voisine, dont le fils faisait du parachutisme (sic); s'étant aperçu de leur arrivée il s'était enfui, ce qui n'empêche pas que dans la maison il y avait trois armoires, ils en ont ouvert deux sans résultat, et heureusement ils n'ont pas touché au troisième où il y avait deux parachutes, et même des grenades dans un tas de pommes de terre.
Leur travail étant terminé, ils nous ont libéré sans mal.
Et fin août de la même année ils ont quitté le pays emmenant chevaux et voitures sur leur passage.
Mais l'essentiel nous étions donc libres.
Témoignage de cinq rescapés de la botte hitlérienne.
Signé par : l'adjoint [au maire] Fély, Demondion Joël, Navarre, (Debois?) Lambert et un autre non lisible.
Le cachet de la mairie de La Faye a été apposé en bas du texte et à cheval sur ce dernier et quelques signatures.

 
André Flaud (à gauche) nous a montré la photo de son ami d'enfance, Jean Portejoie en uniforme de chef de bataillon du 31e d'infanterie, le jour de la remise de sa Légion d'honneur.
Le jour où Jean et ses amis ont échappé à la mort

Le 28 juillet 1944, le Rémois Jean Portejoie s'est retrouvé à 16 ans et demi, avec quatre autres personnes de son village, face contre un mur, tenu en joue plusieurs heures par une mitraillette allemande. 64 ans après, il se souvient.

Il a longuement hésité avant d'en parler. Puis ses amis et sa famille ont insisté. Il fallait le faire pour que les jeunes générations n'oublient pas ce qui s'est passé et sachent quelle était la vie durant la Seconde guerre mondiale. Finalement, à 80 ans, Jean Portejoie a accepté de parler de ce 28 juillet 1944 où sa vie et celle de plusieurs de ses camarades a failli définitivement basculer.

«C'était vers 5-6 heures du matin, raconte l'octogénaire installé dans la région depuis 1965. J'avais 16 ans et demi. j'habitais chez mon oncle près de Ruffec en Charente. On a été réveillé brutalement pas les Allemands qui avaient cerné le village. Notre maison, qui était à l'entrée, a été la première fouillée. Les Allemands m'ont demandé si j'étais un maquisard. Je leur ai répondu que non, juste un étudiant».

Des heures face contre un mur

S'il avait déjà assisté à deux-trois parachutages, le jeune Jean Portejoie ne faisait en effet pas partie à l'époque de la Résistance. «Les Allemands m'ont demandé de sortir de la maison et m'ont emmené le long d'un grand mur au milieu du village. Derrière moi, il y avait une personne avec un pistolet-mitrailleur, j'avais les mains en l'air.» Quelques minutes plus tard, l'adolescent est rejoint par un autre habitant du village, puis un troisième, un quatrième et un cinquième... Cinq otages placés face au mur...
«Nous ne savions pas ce qui allait nous arriver. Nous sommes restés ainsi pendant plusieurs heures... les Allemands fouillaient partout. Et puis il y a eu ce coup de chance quand ils sont allés chez un de nos amis René. On savait qu'il cachait chez lui des parachutes et aussi des grenades et des pains de plastique au milieu des pommes [de terre] au bas d'une armoire, les Allemands sont entrés chez lui. A ce moment, sa mère a eu l'idée de sortir sur la table de la bonne nourriture. Ils ont ouvert une armoire, une deuxième et ont finalement laissé tomber la troisième pour aller manger. C'est ce qui nous a sans nul doute sauvé. S'ils avaient ouvert, sans doute ne serions-nous plus là...»
Ce n'est qu'en début d'après-midi que les Allemands laisseront partir ceux qui se sont donnés le nom des «cinq rescapés de la botte hitlérienne».
Si la plupart d'entre eux sont aujourd'hui décédés, Jean Portejoie n'a pas oublié. «Je crois que ce jour-là, le destin n'a pas voulu de nous. Il y a des signes comme cela.»

Deux autres fois miraculé

De tels signes, le Rémois en aura toute sa vie. En 1945, il intègre l'armée. Parti en Indochine, à deux reprises encore, il échappe à la mort qui semblait pourtant programmée. «J'étais avec mon groupe et on a sauté sur une mine. Je m'en suis sorti miraculeusement avec juste un éclat dans le dos. Un peu plus tard je devais partir en mission et au dernier moment j'ai été remplacé par un autre gars. L'avion dans lequel il était a eu accident et il est mort...»
A 80 ans, Jean Portejoie croit plus que jamais au destin. Il est aussi intarissable... Une façon aussi pour lui de se libérer.
Grégoire Amir-Tahmasseb
Publié par le journal l'Union (Reims) le 30 juillet 2008
 
Témoignage de Madame Madeleine Froge (fille d'Edmond Lambert)
78000 Versailles le 11 juin 2016
Monsieur le maire, […] c'est une excellente idée d'entretenir la mémoire de notre village.
Je n'avais que 14 ans à l'époque, mais j'avais entendu parler d'Oradour [sur Glane], et je savais aussi que notre village n'était pas très «apprécié» [des Allemands]... Je voyais leur camp tous les jours de la fenêtre de ma chambre.
Combien de temps s'est écoulé entre notre réveil... et le retour de papa ? Je ne saurais le dire. Le silence et l'angoisse, maman l'avait vu partir avec un soldat et sa carte d'identité... nous avons compris quand nous l'avons vu rentrer dans la cour de la ferme et nous dire : «Savez-vous d'où je viens ?»
Ce sont des mots que l'on n'oublie pas.
J'aurais aimé être présente aujourd'hui... [18 juin 2016]
 
 
 



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