Le château de Saveilles

Source : Daniel Touzaud, 1907
Sur la ligne du chemin de fer de Ruffec à Niort, après avoir dépassé la station de Paizay-Naudouin, on aperçoit du côté du Nord, à une distance d'environ mille mètres et faisant face à la voie ferrée, un château flanqué de tours en poivrière: c'est Saveilles. «Un de nos châteaux, dit Michon, les plus intéres­sants par leur architecture



Au point de vue historique, Saveilles n'est pas moins intéressant par l'influence que ses possesseurs ont exercée sur cette région de l 'Angoumois, au profit de la Réforme. Parmi les maîtres de cette maison noble, on compte les maréchaux de Caumont La Force et de Turenne, le glorieux Turenne : ils appartenaient, comme leurs prédécesseurs, au protestantisme qu'ils continuèrent de protéger et de soutenir autour d'eux. Des renseignements assez abondants à ce sujet, se rencontrent dans les contestations et dans les polé­miques religieuses qui s'engagèrent, au cours du XVIIe siècle, sur l'application de l'Édit de Nantes et qui aboutirent à sa Révocation. Une série de Mémoires, notamment ceux qui furent publiés au nom du Syndic du clergé d'Angoulème en réponse aux dires des religionnaires, présentent le tableau histo­rique des églises réformées de l'Angoumois ; parmi elles, figure Saveilles, entre Villefagnan et Ruffec, plus ancienne que ces dernières et leur point d'appui d'un côté, comme Verteuil l'était de l'autre.
Dans le Mémoire sur Saveilles, nous trouverons, en passant, un trait qui fait échec au proverbe : «Juger d'une chose comme un aveugle des couleurs».

L'auteur de la Statistique Monumentale de la Cha­rente (Michon) décrit ainsi, dans son style négligé, le château de Saveilles :
«Il fut, dit-il, bâti à la fin du XVe siècle par un La Rochelaton (château de La Rochefaton à Thénezay - Deux-Sèvres) qui avait acheté là châtellenie d'un Vol­vire, seigneur de Ruffec. C'est un vaste carré défendu par d'immenses douves encore entourées d'eau. Le château forme équerre sur le levant et le Midi ; il est défendu par deux tours, l'une au Nord-Est, l'autre au Sud-Ouest. A la grande tour, les machicoulis sont décorés d'ogives trilobées. Il y a eu dans la construction du château de Saveilles beaucoup de travaux de sculpture. On a décoré les fenêtres, surtout celles qui s'élèvent au-dessus des combles. De vastes cheminées étaient ornées des sculptures les plus délicates ; l'une d'elles portait un bas-relief du plus beau travail sur lequel est sculpté l'écusson des La Rochefaton entouré de délicieuses arabesques.»

Michon ajoute, en note, que «l'écusson est mi-parti La Rochefaton, de gueules à 3 fleurs de lys d'or, et coupé, le premier d'Archiac qui est de gueules à deux pals au chef d'or, et le second plain.»

Tel était le château de Saveilles en 1844, bien que déjà Michon semble parler au passé des cheminées et du bas-relief.


Il reste à vérifier la véracité de l'attaque de Sully...

Aujourd'hui, quatre seulement des lucarnes sculptées subsistent encore, en bon état : une à chaque tour, et les deux dernières sur les façades intérieure et extérieure d'un corps de logis ; celle de la grosse tour surmonte un double machicoulis avec deux arcs dans lesquels sont engagées les ogives trilobées relevées ci-dessus.


Les autres lucarnes et la cheminée de la grande salle ont été détruites : seules, quelques pierres sculptées, dont celle portant les armes de La Rochefaton, ornent les murs et les portes de la cour.

La terre de Saveilles relevait du marquisat de Ruffec. Elle était le siège d'une juridiction : mais sa justice parait avoir été subordonnée à celle du château d'Empuré ; et celle-ci, à son tour, était «subalterne» de celle de Ruffec.

Au témoignage des écrivains protestants du XVIe siècle, la Réforme aurait été propagée dans notre région aussitôt après le séjour de Calvin à Poitiers, qu'on fait remonter à 1534 : «On tient que ce sont ces premiers disciples de Calvin, écrit M. Lièvre, qui ont prêché la réformation à Villefagnan sur les confins du Poitou et de l'Angoumois
Il parait, au surplus, que les La Rochefaton étaient. alliés aux La Rochefoucauld, et on sait que François III, dès 1557, en épousant Charlotte de Roye, belle-sœur du prince de Condé, adoptait en même temps sa religion.

A vrai dire, ce lieu n'a pas été fort heureux dans la conservation de ses titres particuliers, en tant qu'église réformée. On ne remonte pas au delà de 1570. En effet, dans le colloque tenu à Château­neuf, en ladite année 1570, il y a une comparution de la part de l'église de Saveilles. De même, les registres du consistoire de Verteuil font figurer cette église dans les années 1582, 1589, 1590.

Le seigneur de Saveilles apparaît en 1591. C'était un personnage d'importance. On le voit, à cette date, se battre et mourir pour la foi nouvelle, avec le seigneur de Champdeniers (Deux-Sèvres), dans un engagement contre des ligueurs : «ces deux gentilshommes de grande marque, rapporte d'Aubigné, demeurèrent maistres du champ et vain­queurs aux despens de leur vie ; car la place fut à eux, mais ils moururent bientôt après».

Après la mort de son mari en 1591, «la Dame de Saveilles», qui était, semble-t-il, Charlotte de La Rochefoucauld, continue d'héberger un ministre : il s'appelle, d'un nom prédestiné; Guillaume Preschon ; et lorsqu'il vient à mourir au château, on ouvre son testament daté du 9 mars de l'année 1591 ou 1594. Le testateur dispose de ses biens entre ses enfants ; il en donne l'éducation à sa femme : mais il leur cherche des protecteurs, et, à cet effet, il prie M. du Breuil-Goulard et Mme de Saveilles, de maintenir ses enfants dans les droits qu'il leur laisse. Ce Goulard était seigneur de Paizay, où le ministre «élit sa sépulture» ; M. de Goulard était aussi seigneur du Breuil (de Londigny) près Montjean ; de La Ferté, commune de Villefagnan, de La Motte-d'Anville, etc. ; il préférait sans doute résider au Breuil, plutôt que de vivre à l'ombre du château de Saveilles.
Il soutenait activement la réforme, et c'est à ce titre qu'on rencontre un Alphée de Goulard figurant le 20 avril 1664 dans un acte destiné à favoriser la défense des protestants de Villefagnan ; en 1700, on trouvera les de Goulard, marquis de Vervant et seigneurs de Roullet et Rochereau.

Le rédacteur du Mémoire sur Saveilles ajoute les détails suivants par où il confirme la qualité du ministre Preschon, tout en essayant d'amoindrir son autorité par des traits qui ne sont pas toujours d'un goût irréprochable :
«Il (Preschon) donne encore à sa femme une escuelle d'argent, qu'il avoit receu par gratification de la Dame de Saveilles ; et pour faire valoir le présent, il dit que c'est la chose qu'il estime la plus précieuse du monde, sans en excepter le gobelet à boire que Jean Calvin, son patriarche au rapport de Beze, a laissé par testament à son frère Anthoine, pour gage de toute l'affection qu'il lui portait. On tire (de là) que cette Dame se servoit de ce mi­nistre dans sa maison et qu'il demeuroit dans son chasteau et à ses gages. Mais on n'en peut tirer qu'il y eust une église publique de la Religion Pretendue Reformée. Il y en auroit grand nombre, s'il y en a voit partout où meurent et tes­tent les ministres et où ils servent les Dames».

C'est ce brave Preschon qui, dans son testament, vient donner un démenti au proverbe de l'aveugle et des couleurs : parmi ses dispositions de dernière volonté, il lègue un escu au célèbre aveugle de Villefagnan, qu'on dit dans la province d' Angoumois à voir discerne le poil des chevaux par le seul attouchement.»

Le successeur de Preschon se nommait Pascard. Lui aussi demeurait au château de Saveilles ; mais de temps en temps il allait à Villefagnan, faire des prê­ches et des prières dans des maisons particulières de ce lieu. Le 1er février 1598, nous voyons cinq personnes de Villefagnan aller chercher à Saveilles le ministre Pascard.

On comprend, en effet, que le culte organisé au château de Saveilles, non seulement s'étendait au hameau dudit lieu, mais devait rayonner au dehors. En ce qui concerne le hameau, des quittances de Pascard, en date du 3 juin 1596 et du 1er mars 1598, établissent que les réformés de la terre de Sa veille contribuaient à l'entretien du ministre. «Ceux de la religion prétendue reformée du tiers-état de Villefagnan» avaient figuré, dès 1571, sur le rôle de la taxe faite pour le payement des Étrangers, c'est-à­ dire des troupes étrangères appelées au secours du parti huguenot : c'est en vertu d'une Commission du roi Charles IX qu'étaient faites ces perceptions de deniers, à la suite d'un des nombreux accommode­ments qui se succédaient entre l'État et les rebelles et où nous voyons le roi payer les frais de la guerre civile.

On en vint à répartir régulièrement les taxes d'en­tretien du ministre, entre les divers lieux qui étaient visitées par lui. La charge fut partagée entre Villefagnan, Empuré, Embourie, Brettes, Saint-Fraigne, Paizay et Saveilles, pour une moitié ; et Villiers, La Chèvrerie, La Forêt-de-Tessé, La Magdeleine, Bernac, Saint-Martin-du-Clocher et Theil-Rabier, pour l'autre moitié.

En même temps qu'à Saveilles, il existait aussi une église réformée dans le fief du seigneur du Breuil­ Goulard en son château de la Ferté, près Villefa­gnan.
On trouve, en effet, un registre des baptêmes faits «en l'église chrestienne de La Ferté», en 1596, d'enfants de Villefagnan, de Villiers (La Ferté est située entre Villefagnan et Villiers), de Londigny, de Tessé, La Magdeleine, La Chèvrerie, Le Teil et Montjean (c'est près de Montjean que se trouve le château du Breuil).

Les seigneurs du Breuil-Goulard protégeaient dans leurs domaines le culte qui était le leur, comme les La Rochefaton faisaient à Saveilles.
Mais, il était naturel que le culte réformé ne tardât pas à s'organiser au chef-lieu de la principale agglomération, à Villefagnan même.

Aussi, en 1599, au lendemain de la promulgation de l'Édit de Nantes, le procureur d'office de la juri­diction de Saveilles lui-même, nommé Broussard, et Pierre Girardin, sieur de la Font, se rendent à Angou­lême pour demander aux commissaires institués en vue d'assurer l'application de l'Édit, la permission de «faire prescher» à Villefagnan. La réponse ne dut pas être favorable, car, aux termes de l'Édit, si les églises existant en 1596 et 1597 étaient maintenues, il n'en était autorisé de nouvelles que deux par bailliages : peut-être l'affàire fut-elle mise à l'étude administrativement, c'est-à-dire resta sans solution. Toujours est-il que les protestants de Villefagnan. organisèrent leur culte, et, dés le 15 août de cette même année 1599, un compte était arrêté entre le ministre Pascard et M. de La Cantinolière, pour les églises de Villefagnan et de Saveilles, au résultat duquel le payement est divisé entre les deux églises.
Malheureusement pour les réformés de Villefa­gnan, ce bourg était situé sur les confins de l'Angoumois et du Poitou, la route faisant la division de ces deux provinces ; il dépendait aussi de deux seigneurs différents, l'évêque de Poitiers à gauche, et le marquis de Ruffec à droite. Or, les réformés s'étaient établis dans la maison de M. de La Canti­nolière, qui se trouvait dans la portion dépendant de l'église catholique. Mgr de La Rocheposay, évêque de Poitiers, les en ayant chassés, ils passèrent dans l'étendue du marquisat de Ruffec et dans le fief de M. de Goulard, qui en relevait aussi bien que Saveille

Au colloque tenu à Jarnac au mois de septem­bre 1601, l'union des églises de Saveilles et de Villefagnan est officiellement consacrée. Le ministre Pascard, père de celui qu'abrite le château de Saveilles, fait arrêter que son fils, «ministre de Saveilles et de Villefagnan, sera payé des arrérages dus par ces églises, des deniers que le roi leur donnera par libéralité», l'Édit admettant, en effet, des subventions du Trésor au profit du culte protestant. En ce même colloque il fut décidé, en outre, que «ces églises seraient visitées et secourues par ceux de Verteuil, de La Rochefoucauld et de Jarnac».

Enfin, à la suite d'un autre colloque tenu à Cognac le 7 novembre 1607, et où le pasteur Peret fut nommé pour desservir Verteuil, Ruffec et Villefagnan, cette dernière église se vit dotée d'un temple, qui fut bâti sur un terrain donné par MM. Desroches-le-Cocq. Ceux-ci étaient «puissants en biens», d'Aubigné leur attribue un revenu de 4 à 5.000 écus.
Telle est l'origine de l'église réformée de Villefagnan : elle ne fut au début qu'une émanation de celle de Saveilles.

Lorsque, en 1664, les Commissaires du roi recher­chèrent les titres des églises protestantes, les Mémoires publiés en leur faveur invoquèrent une prétendue comparution de l' église de Villefagnan à un colloque de Verteuil en 1506 ; mais il apparaît, par les «Response», que le document invoqué ne figura dans aucune production de pièces. Ce qui fut produit à l'appui de l'ancienneté de l'église de Villefagnan, c'est un registre de mariages et de baptêmes faits en 1564, 1566, 1569, dans «l'église de Villiers». Avec les enfants de Villiers, on en voit d'ailleurs figurer d'autres provenant de Bernac, de Tessé, de La Magdeleine et de Villefagnan même ; ces actes ne portent aucune signature, pas même celle du pasteur, de telle sorte qu'on ne sait pas en définitive si le registre provient d'une église catholique ou protestante.
Aussi le temple de Villefagnan, étant postérieur à l'Édit de Nantes fut-il rasé dès avant la révocation de l'Édit, en 1583. Néanmoins, le culte protestant s'y continua : on cite des pasteurs de 1750 à 1795.

En dépit de l'importance qu'avait acquis le culte réformé à Villefagnan, Saveilles n'en garda pas moins son autonomie. On le comprend d'autant mieux que «la terre de Saveilles a passé par mariage (en 1641) en la maison de Messieurs de La Force et par la mesme voye (en 1653) en celle de Monsieur de Teurenne qui a espousé la fille unique de Monsieur Le Mareschal Duc de la Force. Toute le France sait, ajoute le Mémoire, que les seigneurs qui ont toutes les autres exellences dignes de leur haute naissance, ont cette tache de s'être laissez surprendre aux erreurs de Calvin et .d'y persévérer au grand regret de tous les gens de bien

C'est ainsi, qu'en 1661, les seigneurs de Saveilles «font faire l'exercice public de leur Religion Pretendue Reformée dans la cour de leur chasteau et dans la grange qui joint les escuries
Et, bien que la conversion de Turenne au catholi­cisme par Bossuet, remonte à 1668, on trouve encore un Jacques Thibaud ministre à Saveilles, en 1678. C'est sans doute que la terre de Saveilles avait changé de mains avant cette dernière date : il paraît, en effet, qu'elle serait passée dès 1658, «par héritage», à François Prévost, seigneur de Touchimbert : cette famille appartenait à la R.P.R. ; en 1615, on voit un Touchimbert figurer parmi les «anciens» de Verteuil.

François Prévost de Touchimbert mourut en 1715, laissant une fille unique, mariée dès le 16 février 1713 à Henri de Bourdeille.
Le seigneur de Saveilles avait abandonné la Réfor­me puisque, le 29 mai 1703, une cloche est bénite en la chapelle du château.
On vient de voir bien des noms se succéder au titre de seigneurs de Saveilles : Rochefaton, Caumont La Force, Turenne, Toutchimbert, Bourdeille. Il était dans la destinée de Saveilles de «tomber en quenouille», sans du reste jamais déchoir, non seulement dans le passé, mais jusqu'en ces derniers temps. C'est sans nul doute, à raison de ces vicissi­tudes incessantes, que le château dont nous venons de retracer l'histoire n'a pas conservé dans les annales de l'Angoumois la place qui lui était due. Ses possesseurs éphémères portaient ailleurs le centre de leur existence, tandis que leurs biographes méconnaissaient le rôle qu'ils avaient joué dans notre province.

Verteuil, lui aussi, a subi une disgrâce, même beaucoup plus grave, à une époque relativement récente, puisque cette place, qui fut le vrai foyer de la Réforme en Angoumois, échappait à ses maitres pendant toute une génération. Ce ne fut d'ailleurs qu'une éclipse, et aujourd'hui cette magnifique de­meure se trouve restaurée et enrichie de précieux objets d'art qui sont en même temps des documents historiques. Saveilles, qui a été dans une certaine mesure le pendant de Verteuil, est appelé à sortir de l'oubli où les circonstances l'avaient injustement refoulé, et il paraît bien que le nom de ses posses­seurs actuels est destiné à s'y perpétuer.

Le Comte Maurice de Bourdeille, le dernier de la branche de Saveilles, y est décédé, en 1888, entouré du respect et de la sympathie de tous. Il laissait pour unique héritière Charlotte-Alix, mariée à M. Disnematin de Salles (de Limoges), dont la fille Hermine-Catherine-Adélaïde à épousé, en 1877, M. le Vicomte du Ligondès, originaire du Bourbonnais où il possède le château historique (XVe siècle) de Rochefort (1). M. du Ligondès, ancien colonel d'artillerie, a deux fils, dont l'ainé, François, se pro­pose d'habiter la terre de Saveilles.

(1) Commune de Saint-Bonnet de Rochemort, arrondissement de Gannat, département de l'Allier.
Daniel TOUZAUD

http://saveilles.jimdo.com/

 
 



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