Le Médecin Général Inspecteur Célestin Sieur (page 1/2)

Bulletin de l'Académie nationale de médecine (1955. Nos 25-26. 3e SÉRIE, 139.)

NÉCROLOGIE
Célestin Sieur (27 décembre 1860-12 juin 1955), par M. H. Rouvillois.

C'est à Lyon, en 1895, que je le vis pour la première fois, lors de mon entrée à l'Ecole du Service de Santé militaire où je venais d'être admis.
Il était alors jeune médecin-major de 2e classe et exerçait depuis deux ans les fonctions de répétiteur d'anatomie et de pathologie chirurgicale. Dès cette époque, il jouissait, aussi bien à la Faculté qu'à l'École et dans les hôpitaux, d'une particulière estime.
Je ne pouvais prévoir, à ce moment, que onze ans plus tard j'aurais le privilège de travailler pendant cinq ans, au Val-de-Grâce, sous la direction de ce maître incomparable qui n'a cessé de me guider et de m'aider pendant toute ma carrière et de me donner, en maintes circonstances, le témoignage d'une affection véritablement paternelle.
Je prévoyais encore moins qu'un jour viendrait où j'aurais le douloureux devoir de prononcer son éloge à l'Académie nationale de Médecine.
C'est donc avec une émotion profonde, que je ne cherche pas à dissimuler, que je vais essayer de retracer la vie de mon vénéré maître, le Médecin général Inspecteur Sieur, devenu le doyen d'âge de notre Compagnie. Les liens affectifs et spirituels qui nous unissaient l'un à l'autre depuis plus de cinquante ans sont tellement étroits que, pour évoquer son souvenir, je crains de ne pas trouver toujours les mots qui soient à la mesure des sentiments que j'éprouve.

Célestin Sieur est né en Charente, le 27 décembre 1860, au hameau des Plans, dépendant. du village de La Faye, aux environs de Ruffec, non loin du cours de la tranquille et sinueuse Charente, dans une région agricole où les terres cultivées alternent avec les pâturages à moutons et où les coteaux sont couverts de vignes donnant un vin destiné surtout à la fabrication du cognac.
Ses parents étaient de modestes paysans ayant passé leur vie à cultiver la petite terre qui appartenait à leur famille depuis le règne de Louis XV. Son père et sa mère étaient à peu près totalement illettrés, mais avaient trop souffert de celte infériorité pour ne pas avoir fait donner à leurs deux fils l'instruction qui leur faisait, à eux-mêmes, cruellement défaut.

Le fils aîné, après avoir fréquenté l'école communale, avait été reçu à l'Ecole normale de Poitiers, puis à celle de Cluny ; il en sortit comme professeur de sciences physiques, chimiques et naturelles au collège de Saint-Junien.
Entre temps, son jeune frère, après avoir, lui aussi, fréquenté l'école communale et avoir été initié aux débuts du latin et du grec par le curé du village, concourt pour une bourse, en 1874, y est admis, et rejoint son frère qui vient d'être nommé au collège de Fontenay-le-Comte. Là, sous la direction de ce frère qui le prend en charge avec une touchante sollicitude, il conquiert sans difficulté ses diplômes de l'enseignement secondaire.
Celui de ses professeurs qui, à côté de son frère, a laissé sur le jeune Sieur la plus forte empreinte, est sans conteste François Picavet qui, entré lui aussi dans l'enseignement comme simple instituteur, préparait l'agrégation de philosophie et devait devenir par la suite professeur à l'Ecole des Hautes Etudes et au Collège de France dont il devint le secrétaire général. Il fut, à Fontenay-le-Comte, le professeur de philosophie du jeune Sieur qui était d'ailleurs, dans sa classe, son unique élève. Celui-ci n'a cessé de vouer à son vieux maître un véritable culte qui revêtait une forme particulièrement touchante dont, à diverses reprises, j'ai été le témoin dans le petit appartement du Collège de France où je l'accompagnais quelquefois.
 
A l'issue de ses études à Fontenay-le-Comte, son frère aîné l'oriente définitivement vers les études médicales.
C'est dans ces conditions que, le 1er décembre 1878, habillé de neuf par sa mère et muni d'une somme de trois cents francs, le jeune Sieur arrive à Bordeaux pour y prendre sa première inscription à la Faculté de Médecine. Là, tout en suivant les cours et les travaux pratiques, il obtient, grâce à l'intervention d'un ami de sa famille, une place de maître surveillant dans une école libre, ce qui lui assure le vivre et le couvert, dans des conditions modestes, mais dont il sait se contenter.
Nommé externe en 1880, il prépare à la fois le concours de l'internat et celui d'élève du Service de santé militaire. Reçu aux deux concours en 1881, il se consacre tout entier à ses études et à la préparation de ses examens.
Trois de ses professeurs ont laissé sur lui une empreinte durable, ce sont les professeurs Demons en chirurgie, Pitres en médecine et Badal en ophtalmologie.
Comme jeune interne des hôpitaux, nous le voyons concourir à l'enseignement de l'anatomie en qualité de moniteur et, en 1883, être chargé de conférences d'anatomie à la Maternité.
Parmi ses camarades d'internat, il faut citer Maurice de Fleury et Sebileau qu'il devait tous deux retrouver plus tard à Paris, ainsi que Vincent, de deux ans plus jeune que lui et qui devint dans la suite son collègue au Val-de-Grâce.
C'est à Bordeaux également qu'il se lia tout particulièrement avec Testut, qu'il revit à Lyon quelques années plus tard, et qu'il fit la connaissance d'un de ses futurs maîtres au Val-de-Grâce, M. Vaillard, dont il devait devenir ultérieurement le collègue à l'Académie de Médecine.
Après avoir soutenu, sous la présidence de son maître Pitres, une thèse remarquée à l'époque et honorée par une médaille d'or, sur la percussion métallique combinée à l'auscultation dans le diagnostic des épanchements liquides de la plèvre (signe du sou), il entra en 1883 comme stagiaire au Val-de-Grâce. C'est au cours de ce stage qu'il eut la bonne fortune de connaître Roux et Calmette qui, depuis le début de l'ère pastorienne, s'annonçaient, l'un et l'autre, comme devant orienter la médecine vers des voies nouvelles.
Comme lui, d'ailleurs, Emile Roux était d'origine charentaise (né à Confolens) et l'attirait tout particulièrement par le rayonnement de son intelligence et de sa pensée, par la simplicité de sa vie et le dédain qu'il professait pour la recherche du profit matériel.  

L'année suivante, le jeune Sieur sortait du Val-de-Grâce avec le numéro 3 de sa promotion.

A sa sortie de l'Ecole d'application, il est successivement affecté aux hôpitaux de Vincennes et de Marseille, puis à différents corps de troupe.

En 1889, il est désigné comme médecin surveillant à l'Ecole du Service de santé militaire, récemment créée à Lyon pour remplacer celle de Strasbourg.

C'est à partir de cette époque que, placé dans un milieu qui lui offre les moyens de travailler qu'il recherchait, il peut se préparer au concours de répétitorat de l'Ecole, puis à l'agrégation du Val-de-Grâce.

Pendant quatre ans, le jeune aide-major Sieur peut ainsi prendre contact avec les maîtres lyonnais de l'époque et s'initier aux débuts de la pratique chirurgicale.

En 1893, il est reçu, après de brillantes épreuves, répétiteur d'anatomie à l'Ecole et prend alors la direction d'un service de chirurgie à l'hôpital d'instruction Desgenettes où il s'affirme rapidement comme un chirurgien habile et prudent.

Entre temps, il donne les preuves de sa grande activité et de son labeur incessant en présentant des travaux à la Société de Chirurgie de Paris, dont il fut trois fois lauréat, en 1891, 1892 et 1895, ce qui lui valut d'en être nommé membre correspondant quelques années plus tard.

En 1896, il était reçu à l'agrégation du Val-de-Grâce où il fut chargé à la fois de la direction des travaux pratiques de médecine opératoire et de l'enseignement des spécialités, alors en voie d'organisation.

C'est à ce moment que, lors du stage de ma promotion à l'École, d'application du Val-de-Grâce, nous retrouvâmes, avec un peu plus de maturité, notre jeune répétiteur de l'École de Lyon, qui savait donner à son enseignement une forme simple, pratique et intéressante dont nous n'avions pas perdu le souvenir.

Il ne manquait pas, d'autre part, de se perfectionner dans la pratique ophtalmologique et oto-rhinolaryngoiogique, en vue de la création prochaine d'une chaire pour laquelle le désignaient ses travaux antérieurs. Dans ce but, il entrait, dès 1901, à la Société française d'Otologie, de Laryngologie et de Rhinologie.

En 1920, il devait en être élu président.

A l'expiration de son temps d'agrégation, en 1902, il est nommé à Alger où il prend la direction du Service de Chirurgie de l'hôpital militaire du Dey (aujourd'hui hôpital Maillot).

Là, pendant trois ans et demi, il ne se contente pas d'opérer et de soigner ses malades. Il profite, en effet, des ressources de ce grand service pour y organiser un enseignement, aussi bien pour les médecins du cadre actif que pour ceux du cadre complémentaire. Dès son arrivée, il invite donc tous ses collègues de la garnison à suivre son service et à participer aux opérations chirurgicales.

D'abord simples spectateurs, ils ne tardent pas à l'aider et à exécuter, avec son aide et sous sa surveillance, des opérations simples et bien réglées.

Nommé professeur au Val-de-Grâce en 1905, il rentre définitivement à Paris où il prend la direction de la chaire nouvellement créée pour l'enseignement pratique de l'ophtalmologie et de l'oto-rhino-laryngologie.

Il n'en continue pas moins à s'intéresser toujours à la chirurgie générale, comme en font foi de nombreuses publications qu'il présenta à la Société de Chirurgie et qui lui valurent, en 1910, la transformation du titre de membre correspondant qu'il avait obtenu en 1899 en celui de membre honoraire.

Il ne faut donc pas nous étonner s'il donna au service d'otorhino-laryngologie qu'il était appelé désormais à diriger, une impulsion nettement chirurgicale, suivant en cela l'exemple de son collègue et ami Sebileau, en se spécialisant, comme lui, dans la chirurgie de la tête et du cou.

C'est à ce moment que j'eus la grande joie et l'inappréciable privilège de devenir son agrégé et de prendre à ses côtés une part active à l'enseignement et au service hospitalier. Ce service fut l'objet d'une grande extension et le siège d'améliorations multiples et ne tarda pas à jouir, dans tous les milieux, d'une flatteuse réputation.

Les consultations constituaient une source d'enseignement inépuisable. Les observations prises par les stagiaires étaient passées au crible du maître qui les corrigeait et en faisait l'objet de démonstrations simples et pratiques.

A la salle d'opération, lorsque l'intervention chirurgicale en valait la peine, elle était précédée d'un exposé au cours duquel il appelait l'attention sur les détails anatomiques permettant d'éviter les écueils et de justifier le choix des meilleures voies d'accès.

C'était un plaisir de constater, à la fois, la maîtrise et la prudence avec lesquelles il opérait dans les régions les plus difficiles. C'est pourquoi, nommé membre de la Société parisienne d'Otologie, de Laryngologie et de Rhinologie en 1909, il était appelé, dès 1913, à la présider.

Il recevait fréquemment la visite de ses collègues de Paris ou de province, venus pour assister à son enseignement et à ses interventions chirurgicales.

Tous étaient reçus avec la plus grande amabilité et étaient séduits à la fois par son savoir, son habileté opératoire et par la simplicité de son accueil.

Il en fut ainsi jusqu'au 14 juin 1914, date à laquelle, étant alors à l'apogée de son talent de professeur et de chirurgien, il dut abandonner à la fois son enseignement et son service d'hôpital pour être nommé sous-directeur de l'Ecole d'application et médecin-chef de l'hôpital d'instruction du Val-de-Grâce.

Quelques semaines après, il était nommé directeur du Service de santé du 20e corps d'armée, à Nancy, et y prenait ses fonctions le 29 juillet, sous les ordres du Général Foch qui commandait alors ce corps d'armée.

Le rôle du professeur et du chirurgien était déjà terminé. Celui du soldat allait commencer.

 

Le 2 août, c'était la mobilisation. Le 4 août, c'était la guerre.

 

Le médecin principal Sieur, qui, quelques semaines auparavant, opérait encore et enseignait dans son service du Val-de-Grâce, se trouvait ainsi, d'un jour à l'autre, à la tête du Service de santé d'un Corps d'armée de couverture et allait, de ce fait et sans transition, entrer dans la bataille.

 

Sans doute, il n'ignorait pas les lourdes obligations qui allaient lui incomber.

Il n'en reste pas moins vrai qu'il était en présence d'une situation délicate qui se compliquait singulièrement de ce fait que la déclaration de guerre surprenait le Service de santé en pleine transformation de ses formations de campagne et qu'il était nécessaire de procéder à de laborieuses adaptations.

Dès son arrivée à Nancy, quelques jours auparavant, il s'était mis à la besogne et avait pris contact avec son nouveau service. C'est dans ces conditions que, pendant la période au cours de laquelle le 20e Corps d'armée jouait le rôle de couverture et prenait part à la bataille de Morhange, il eut à faire face aux difficultés les plus grandes. Il en fut de même lors de la défense de Nancy, au cours des combats de la Trouée de Charmes, du Grand Couronné et de ceux qui eurent lieu en Artois et en Belgique, lors de la course à la mer, jusqu'au moment où le front fut définitivement stabilisé.

Dès le début des hostilités, son attention avait été attirée sur la multiplicité et la gravité des blessures par éclat d'obus et sur la nécessité des interventions chirurgicales précoces. C'est pourquoi, avec les modestes moyens dont il disposait alors, il spécialisa quelques-unes de ses ambulances, les transformant en véritables ambulances chirurgicales. Ces premiers essais de spécialisation, peu à peu, furent codifiés et généralisés et aboutirent quelques mois plus tard à la création des ambulances chirurgicales automobiles, après les premiers essais de Marcille et de Gosset.

Rarement à son bureau, il parcourait le secteur de son corps d'armée, se rendant compte personnellement des lacunes et des défaillances et donnant à tous le plus bel exemple d'une inépuisable activité.

Dès le mois de novembre, le regroupement des unités de C. A., à la suite des combats qui n'avaient pas cessé depuis le début des hostilités, allait devenir le point de départ d'une lutte nouvelle, non pas contre l'ennemi, mais contre les maladies épidémiques telles que la diphtérie et la lièvre typhoïde.

C'est à ce moment qu'il fut lui-même atteint d'une angine diphtérique à la suite de laquelle il fut contraint à un repos qu'il réduisit aux quelques jours indispensables au retour de ses forces.

Mais c'est surtout la fièvre typhoïde, dont l'extension était favorisée par le grand nombre de réfugiés civils, qui prenait une allure inquiétante.

Il fut ainsi amené à envisager de recourir aux vaccinations antityphoïdiques et, dans le but d'y procéder au plus tôt, il fit une demande de vaccin. Or, les conditions paraissaient si défavorables que le chef supérieur du Service de santé de l'armée, dont il dépendait alors, crut devoir informer par lettre le Général Balfourier, alors commandant le 20e C. A., que si des vaccinations antityphoïdiques y étaient pratiquées, elles se feraient sous l'entière responsabilité du chef de corps. Or, le Général, qui appréciait hautement son Directeur, lui fit confiance ; la demande de vaccin fut maintenue et les vaccinations, confiées à deux aide-majors particulièrement qualifiés et choisis, Ameuille et Brûlé, furent poursuivies avec succès et arrêtèrent l'extension croissante de la fièvre typhoïde.

Cette attitude fait honneur au Directeur qui en a pris l'initiative et en a été l'animateur, ainsi qu'au Général qui a eu confiance en lui. Tous deux ont eu le courage de prendre une décision qui constituait un véritable acte de foi et qui engageait grandement leur responsabilité, en cas d'accident ou d'échec.

Cette forme de courage, révélatrice des grands caractères, méritait d'être soulignée.

Au cours des six mois qui venaient de s'écouler depuis le début de la guerre, le médecin principal Sieur avait su, par sa ténacité, son courage et son robuste bon sens, s'adapter aux circonstances les plus délicates et les plus difficiles et s'était acquis auprès du haut commandement une situation de premier plan.

Sa promotion au grade de Médecin Inspecteur, le 6 février 1915, puis sa nomination à la tête du Service de santé de la 8e armée en Belgique et, quelques mois après, de la 10e armée en Artois, n'étaient que les légitimes récompenses des éminents services qu'il avait déjà rendus.

C'est en Artois notamment, où j'étais directement sous ses ordres, que je le vis personnellement à l'œuvre, à l'occasion de l'utilisation des ambulances chirurgicales automobiles qui venaient de faire leur apparition.

Il était de ceux qui avaient compris immédiatement tout le parti qui pouvait être tiré de ces formations nouvelles. Il en fit l'expérience concluante lors de l'offensive franco-anglaise, en utilisant dans les meilleures conditions l'autochir n° 1 de Proust et l'autochir n° 2 dont la chefferie venait de m'être confiée.

Il venait souvent nous inspecter au cours de ses tournées et avait très rapidement fait l'admiration de tout le personnel placé sous mes ordres. C'était, d'ores et déjà, un véritable grand chef, qui par son allure générale, par la distinction naturelle de sa personne, par la nature des questions qu'il posait, par les ordres qu'il donnait et par sa bienveillance qui n'excluait pas la fermeté nécessaire, en imposait à tous.

Fort de l'expérience qu'il avait acquise, il assuma ses lourdes fonctions à la tête du Service de santé de la l0e armée avec une telle maîtrise que, dès octobre 1915, M. Justin Godart qui, depuis juillet, était sous-secrétaire d'Etat du Service de santé au ministère de la Défense nationale, lui annonça au cours d'une inspection que, d'accord avec le Général en chef, il le nommait directeur du Service de santé du Gouvernement militaire de Paris.

Le Service de santé du Gouvernement militaire de Paris, en effet, prenait une importance croissante. Il était nécessaire de mettre à sa tête un homme d'une autorité reconnue aussi bien au point de vue scientifique que militaire, pour utiliser au mieux les compétences médicales et chirurgicales ; il fallait notamment faire, à cet égard, un choix judicieux parmi les personnalités éminentes de la Faculté de Médecine et du Corps des hôpitaux de Paris. Il convenait également de ne pas laisser au hasard ou aux initiatives plus ou moins intéressées le soin de répartir les blessés dans les hôpitaux, de procéder à un triage établi sur des bases chirurgicales et de le confier à des chirurgiens d'une autorité indiscutable. Il convenait enfin de supprimer, parmi les petits hôpitaux auxiliaires, ceux qui n'offraient pas de garanties suffisantes pour assurer aux blessés les soins qui leur étaient nécessaires.

La désignation du Médecin Inspecteur Sieur pour remplir un tel rôle de direction et de coordination fait honneur à celui qui en a été l'objet ainsi qu'à la sagacité de notre éminent collègue, M. Justin Godart, qui est à l'origine de cette heureuse nomination.

Dès sa prise de fonctions, le Médecin Inspecteur Sieur s'entoura des conseillers techniques les plus éprouvés, parmi lesquels il convient de citer le nom du professeur E. Quénu, et organisa le triage des blessés et des malades sur des bases pratiques et rationnelles.

Dans le but d'établir une liaison étroite et permanente entre les grands services de chirurgie et les hôpitaux de moindre importance, il répartit ces derniers par groupes de trois à cinq et les rattacha, suivant leur capacité, à des centres principaux dont ils dépendaient. Le chirurgien chargé du Service central recevait directement les blessés, procédait aux opérations nécessaires et évacuait sur les hôpitaux annexés à son service et dont il avait la haute surveillance, les blessés qui n'avaient plus besoin de ses soins. Cette organisation donna de tels résultats qu'elle fut, quelques mois plus tard, appliquée à tout le territoire.

L'idée était simple, mais il ne suffisait pas d'y penser ; il fallait l'appliquer et veiller surtout à son application, ce qui fut fait, non sans résistances et sans difficultés, mais au plus grand bénéfice des blessés de l'Armée tout entière.

Dès cette époque, il pensait à l'avenir et installait, en juin 1916, un centre de physiothérapie au Grand Palais, qui centralisait les évacués des formations de province proposés pour suivre un traitement physiothérapique ou pour y être éventuellement appareillés. Or, si beaucoup de ces opérés étaient en état de reprendre leur service ou d'être réformés, il en était d'autres qui avaient besoin d'être réopérés avant tout traitement nouveau ou avant tout appareillage. Ces derniers étaient assez nombreux pour justifier la création de nouveaux centres chirurgicaux qui, confiés à des chirurgiens qualifiés, ont rendu les plus grands services aux blessés et ont contribué, pour leur part, aux progrès de la chirurgie orthopédique.

Grâce à de nombreux concours venus de France et de l'étranger, le Grand Palais devint peu à peu un lieu de visite pour les personnalités françaises ou étrangères, et un véritable modèle pour les missions des Services de santé alliés.

Il est à l'origine de cette œuvre fraternelle et humaine de la rééducation professionnelle dont nous avons vu récemment le bel épanouissement dans l'admirable centre de l'Institution nationale des Invalides destiné aux plus grands invalides de la guerre.

Sur ces entrefaites, le décret du 11 mai 1917, que nous devons à la ténacité éclairée de M. Justin Godart, venait de conférer une autonomie plus grande au Service de santé et devait avoir pour conséquence immédiate la création d'une Inspection générale du Service de santé au Grand Quartier. Le titulaire de cette fonction devait exercer son action dans la zone des armées mais était tenu de rester en liaison à la fois avec la Direction de l'Arrière et avec le sous-secrétariat d'Etat du Service de santé. La situation était donc délicate et risquait de créer des conflits d'attributions.

Or, pour la désignation du titulaire de cette fonction nouvelle, l'entente entre le haut commandement et le sous-secrétariat d'Etat se fit sur le nom du Médecin Inspecteur général Sieur qui venait, le 27 juin 1917, d'accéder à la troisième étoile.

Une fois de plus, il se montra, par son tact et son autorité, l'homme de la situation.

Dès sa nomination, il se rendit dans toutes les armées et rédigea des rapports circonstanciés du plus haut intérêt pratique. Le ton de ces rapports était bienveillant. Il exposait les faits sans sévérité, avec la netteté d'idées et la limpidité de phrases qui caractérisait sa pensée et son style. Il évitait de prononcer le nom des officiers et ne mettait jamais en cause que la fonction, ce qui ne .l'empêchait pas de faire oralement les reproches qu'il jugeait nécessaires.

Ces rapports n'étaient pas l'expression pure et simple des opinions courantes alors en vigueur ; ils reflétaient surtout ses opinions personnelles dont un certain nombre, judicieusement exploitées, ont largement contribué aux progrès accomplis ultérieurement par le Service de santé.

L'une d'elles, qui lui était particulièrement chère, a été féconde dans ses résultats. Il s'agit du contrôle technique et de la coordination permanente des échelons chirurgicaux de l'Armée sous une direction unique.

Il eut l'occasion d'en faire une démonstration éclatante lors de l'offensive des Flandres, dès juillet et août 1917. Il prit à ce moment l'initiative heureuse de confier à notre regretté ancien Président, Pierre Duval, alors jeune agrégé et chirurgien des hôpitaux, dont il connaissait la valeur, le soin de créer dès échelons de traitement où les conditions de distance, de durée, d'installation et de méthode seraient fixées en tenant compte des notions toutes récentes concernant le traitement de la plaie de guerre.

C'est ainsi que des centres de sutures primitives purent être prévus et alimentés par un triage chirurgical bien fait et que les blessés ainsi opérés purent être évacués dans d'excellentes conditions par des trains spéciaux à marche accélérée.

Ce fut un succès dont le mérite revient à la fois au chirurgien qui en a été l'exécutant mais aussi au grand chef qui, l'ayant pressenti, n'a pas craint de provoquer cette expérience et d'en assumer la responsabilité.

Quelques mois après, la création des chirurgiens consultants d'armée venait généraliser et régulariser l'initiative prise dans les Flandres.

C'est le 19 décembre 1917 qu'une décision ministérielle créa les chirurgiens consultants d'armée qui devenaient ainsi de véritables adjoints techniques chargés, sous l'autorité de leurs directeurs respectifs, d'assurer un contrôle et une coordination permanente de tous les éléments chirurgicaux de l'armée à laquelle ils appartenaient.

Ce n'était là que l'application, sur un plan local, de son grand principe de la liaison étroite et permanente qui doit exister à tous les échelons du Service de santé. Transposée sur un plan supérieur, à l'échelon du groupe d'armées, l'application de ce même principe, étendu non plus seulement aux liaisons en profondeur à l'intérieur d'une armée, mais aux liaisons latérales entre deux armées voisines, devait, au cours de la bataille de France, y rendre encore d'inappréciables services.

En mars 1918, en effet, la ruée allemande menace Paris et Amiens. Le Général Fayolle est chargé de les défendre. Le Service de santé du groupe d'armées qu'il commande et qui vient d'entrer dans la bataille a besoin d'un chef actif et expérimenté pour faire face à une situation difficile et à la veille de devenir tragique. Or, la création toute récente d'un Aide-major général du Service de santé ayant rendu ses fonctions moins nécessaires au Grand Quartier, le M. G. I. Sieur n'hésite pas. Il facilite la tâche du Général en chef en se proposant lui-même pour assurer cette direction, donnant ainsi une nouvelle preuve de son courage et de son désintéressement.

Dans la période du début, la rupture de la jonction franco-anglaise avait obligé nos troupes à reculer et placé le Service de santé dans une situation Iragique. Quelques semaines plus tard, lors de la marche en avant de nos troupes, les difficultés, quoique toujours grandes, furent affrontées avec plus d'entrain, et notre marche victorieuse ne fut plus interrompue que par la signature de l'armistice.

Pendant ces mois de durs combats, le M. G. I. Sieur, en complet accord avec le commandement, grâce à la souplesse de fonctionnement que donnaient les liaisons latérales dont il usa largement, grâce aussi à l'utilisation des hôpitaux d'évacuation secondaire qui venaient d'être créés au G. Q. G., put ainsi mener à bien jusqu'à l'armistice la tâche ingrate dont il avait assumé la responsabilité.

C'est au cours de cette période mouvementée que, à la suite de l'assassinat du professeur Pozzi, une vacance imprévue s'étant produite dans notre Compagnie, il fut élu, le 3 décembre 1918, dans la même séance que Clemenceau.

C'est seulement le 4 mars 1919 que, après l'occupation de la Lorraine, de la basse Alsace et du Palatinat avec la tête de pont de Mayence, le M. G. I. Sieur quitta définitivement le groupe d'armées Fayolle où il avait accompli une œuvre qui restera l'honneur de sa carrière. Dès le 15 novembre 1918, le Général Fayolle l'en avait récompensé en lui accordant une très belle citation à l'ordre de l'armée et au moment de son départ, il lui donna des notes particulièrement élogieuses.
Entre temps, il avait été nommé, le 25 janvier 1919, Président du Comité consultatif de santé de l'armée et Inspecteur permanent de l'École d'application du Service de santé ainsi que des hôpitaux d'instruction de Paris et de Lyon.
Cette même année, il fut l'objet de multiples hommages internationaux de la part du Service de santé des armées alliées. C'est ainsi que le Collège de Chirurgie d'Edimbourg, désirant honorer le représentant le plus qualifié du Service de santé français, le reçut dans son sein comme « honorary fellow » et qu'il fut nommé aux Etats-Unis membre honoraire de l' « Association of Military
Surgeons ».
A cette époque, la Belgique, le Danemark et le Japon lui conférèrent également de hautes distinctions.
C'est à ce moment que le Médecin général Inspecteur Toubert, qui avait exercé avec une grande maîtrise les fonctions d'Aide-major général au G. Q. G. en 1918 et qui était devenu Directeur du Service de santé au ministère de la Guerre, mit à profit la grande expérience que son Maître avait acquise au cours de la guerre, en lui confiant de multiples missions au cours desquelles il inspecta les services chirurgicaux de l'armée et y fit développer la chirurgie réparatrice en vue de la réadaptation des blessés. Il continuait, en définitive, après l'armistice, le rôle qu'il avait si bien rempli pendant les hostilités et rendit ainsi jusqu'au dernier jour les plus éminents services.
Le 27 décembre 1922, il passait au cadre de réserve et était élevé à la dignité de Grand Officier de la Légion d'honneur. Il avait 62 ans.

L'oeuvre du M. G. I. Sieur se confond avec l'histoire de sa vie tout entière et revêt des modalités adaptées aux différentes étapes de sa carrière.
Avant 1914, au cours des vingt années de sa vie consacrées à l'enseignement et à la chirurgie, cette œuvre est représentée par un faisceau substantiel de publications scientifiques.
A partir de 1914, son œuvre n'est autre que sa large contribution aux progrès accomplis dans le fonctionnement du Service de santé pendant la guerre. Nous en retrouvons mention dans les différents mémoires qu'il leur a consacrés.
Ses publications scientifiques avant la guerre concernent principalement l'anatomie, la chirurgie et l'oto-rhino-laryngologie.
Parmi les travaux anatomiques, il convient de citer ses recherches anatomiques, cliniques et opératoires sur les fosses nasales et leurs sinus, en collaboration avec Jacob. Cet ouvrage, orné de nombreuses figures, a été couronné par l'Académie de Médecine et est toujours consulté avec fruit par les spécialistes.
Sans nous attarder aux nombreux travaux de pathologie chirurgicale générale qu'il a publiés, soit à Lyon, soit à Paris, dans les Sociétés savantes et notamment à la Société de Chirurgie, je me contenterai de souligner ses principaux travaux consacrés à la chirurgie oto-rhino-laryngologique.
Parmi eux, il convient de citer ceux qui concernent les abcès du cerveau, d'origine otique, présentés à la Société de Laryngologie, d'Otologie et de Rhinologie de Paris, en 1909.
Dans le domaine de la chirurgie des fosses nasales et de leurs sinus, il faut citer un rapport substantiel présenté en 1911 au Congrès de la Société française d'Oto-Rhino-Laryngologie sur le traitement chirurgical des antrites frontales et auquel il a bien voulu m'associer.
Il faut citer aussi une communication faite à l'Académie de Médecine en 1913 sur la voie paralatéro-nasale dans le traitement de certaines formes de fibromes naso-pharyngiens.
Son nom reste également attaché au traitement de la sténose du larynx auquel il a consacré plusieurs publications, soit à l'Académie de Médecine en 1909, soit à la Société française d'Otologie, de Laryngologie et de Rhinologie en 1911.
Son œuvre pendant la guerre est, avant tout, celle de l'homme d'action qui, pendant ses années de pleine maturité, dans l'exercice des plus hautes fonctions, a su prendre des initiatives dont la plupart ont été consacrées par l'expérience et ont reçu force de loi.
Nombreuses sont les publications où il en a fait le récit. Parmi elles, il en est trois qui doivent être soulignées.
 
 
 



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