NAPHTOLETTE ET CHARENTAISE
Naphtolette, Charentaise, deux voitures inventées à Villefagnan...
La plupart des informations portées sur cette page m'ont été communiquées avec la plus grande gentillesse par le Dr Jean-Louis Carde, arrière-petit-fils du Docteur Claude Brothier.
Jean-Louis Carde, pharmacien, témoigne sans limite son attachement à Villefagnan où, très souvent, il revient se plonger dans l'atmosphère de ce gros bourg qu'il sait tant, et si bien, nous faire imaginer au début de ce siècle...
Généalogiste confirmé, passionné d'histoire locale, il va nous relater ci-après l'histoire peu banale de la (plutôt des...) voiture conçue par son arrière-grand-père. Quelques définitions tirées du dictionnaire Larousse Elémentaire Illustré (60° édition, 1924). - Naphte : corps liquide inflammable, mélange de divers hydrocarbures dégagés du sol.
- Naphtol : nom donné aux phénols dérivés de la naphtaline.
- Naphtaline : hydrocarbure solide retiré du goudron de houille.
"
La Naphtolette a été inventée par mon arrière-grand-père en 1898, et réalisée en association avec M. Arthur POUGNAUD à Ruffec. Cette même année, Louis RENAULT inventait également sa première voiture à PARIS.
En fait, d'après les éléments que je possède, son exploitation semble n'avoir été effective qu'un an plus tard.
Ma grande tante Jeanne ROGERIE, fille du Dr Claude BROTHIER, qui était la mémoire orale et écrite de la famille, m'a souvent dit que la Naphtolette fût la première* voiture de Charente".
Ci-dessous, la Naphtolette (en 1898), stationnée à Villefagnan, devant le portillon de "La Chapelière", au 4, rue du Docteur Oscar JOUBERT, (actuellement : 13 rue Joubert et 2 rue de la Chapelière). Sur cette photo ("sans doute du futur Docteur Oscar BROTHIER".),à droite : Mme Claude BROTHIER (née JOUBERT) et le Docteur Claude BROTHIER, inventeur de la Naphtolette ; à l'avant de la voiture, leur fille Jeanne BROTHIER, future Mme ROGERIE.
"Mon arrière-grand-père connut d'ailleurs un franc succès lorsqu'il arriva la première fois à Angoulême, place Beauveau, au volant (je devrais dire "au tube ou à la barre ") de sa Naphtolette en provenance de Villefagnan ! Cette voiture fût présentée dans la revue "La locomotion Automobile", le 1er juin 1899.
C'était une voiture très simple, avec peu de mécanismes, des roues équipées de "pneumatiques", et à rayons (comme sur les vélos) ; elle pesait environ 180 kg, comportait 2 places et un strapontin supplémentaire à l'avant. C'était une voiture non couverte, dont le châssis pouvait être interchangeable en fonction des utilisations.
La transmission était à chaîne.
Le moteur, à essence et à 4 temps, (Pougnaud & Brothier*), situé à l'arrière, avait quelques particularités propres aux inventeurs, en particulier dans l'emplacement et le fonctionnement des soupapes. Le refroidissement du moteur se faisait sans circuit d'eau, simplement par air, grâce aux ailettes.
L'allumage se faisait par une bobine et une pile (ou un accumulateur) et l'échappement était muni d'un silencieux. Les moteurs, à essence ou à pétrole, n'étaient à l'époque une évidence que depuis peu de temps. En effet, trois ans plus tôt, le 20 juin 1895, la course Paris-Bordeaux-Paris avait vu la victoire du "pétrole" sur la vapeur avec la voiture Panhard&Levassor qui avait mis 48 heures pour parcourir 1200 km !
Cette voiture avait 6 heures d'avance sur la Peugeot et seulement une seule voiture à vapeur avait pu accomplir le trajet, et encore, était-elle arrivée la dernière ! (Cf. Histoire de la locomotion)" "La Naphtolette possédait 2 ou 3 vitesses suivant les modèles et pouvait atteindre… eh oui ! la vitesse folle de 24 km/h en moyenne. Dans la version de base, il n'y avait pas de marche arrière ! Voyons, une marche arrière, c'est inutile avec une voiture aussi légère ! La mise en marche se faisait à la manivelle : les premiers démarreurs électriques n'apparurent que vers 1924.
Elle possédait un frein à main et un frein à pédale. Le tube de direction était central avec les commandes principales, ce qui permettait au grand-père de préciser : "Ainsi, au besoin, le conducteur peut se faire remplacer momentanément par son compagnon de route sans que celui-ci ait à changer de place". On pouvait ajouter un parasol ou une "capotette" suivant les conditions climatiques. Elle était vendue 2500 F de l'époque." "
Rapidement un nouveau modèle, la Charentaise, fût proposé et présenté dans "LA LOCOMOTION AUTOMOBILE", le 30 novembre 1899. Elle était moins élégante que la première, certains éléments de carrosserie en bois ayant été remplacés par du métal. De ce fait elle semble plus robuste…"
LA CHARENTAISE C'est cette dernière sur laquelle pose le Docteur Claude BROTHIER pour la photo prise devant sa maison, à VILLEFAGNAN, rue du Docteur Oscar JOUBERT. "La grande différence résidait dans le moteur situé à l'avant. La transmission n'était plus à chaîne mais à courroie et engrenages.
Le moteur développait 2,5 à 3 chevaux, la vitesse maximale n'ayant pas changé (24 km/h) ; les soupapes étaient de chaque côté de la culasse.
Le moteur et le carburateur (Pougnaud et Brothier) étaient brevetés SGDG.
Elle pesait 250 kg et valait 2800 F.
Elle fût exposée au "Salon du Cycle" de la salle Wagram, à Paris, en 1900.
Un modèle à 2 moteurs (5cv) était également construit pour avoir 4 places : il pesait 350 à 400 kgs. Elle coûtait 3500 à 5000 F suivant les modèles.
Cette période où mon arrière-grand-père se lança dans la construction automobile fût de courte durée car la vente ne donna pas les promesses escomptées et l'entente des 2 associés ne fût pas des meilleures.
Nous n'avons actuellement pas retrouvé d'exemplaire existant. L'entreprise fît plus ou moins faillite et dans la famille on parlait peu de cet épisode qui semble n'avoir pas laissé un très bon souvenir, probablement en raison des frais engagés et du résultat obtenu, malgré la remarquable performance de l'inventeur." Jean-Louis CARDE, juin 2000. Mille fois merci à Jean-Louis Carde pour cet article et ces documents peu communs.
On dit que le "reste" de l'entreprise fut vendu à Barré (Automobiles Barré) à Niort, mais nous n'avons rien retrouvé le certifiant. *
DE L'AUTOMOBILISME MÉDICAL
(source : LE POITOU MEDICAL 1er février 1901 page 37)
Par M. le docteur BROTHIER (de Villefagnan)
L'automobilisme est aujourd'hui si bien entré dans nos mœurs, et les progrès en ont été tellement considérables que l'éloge n'en est plus à faire. Aussi ne veux-je m'occuper que d'un seul point, l'automobilisme médical.
Il est certain que s'il est une profession dans laquelle ce genre de locomotion semble plus spécialement indiqué, c'est bien celle du médecin, surtout du médecin de petite ville ou de campagne, qui a de longs trajets à parcourir pour visiter ses malades, et qui chaque jour passe, ou mieux perd, plusieurs heures en voiture.
Si, roulant deux ou trois fois plus vite, il économise chaque jour quelques heures, quel immense profit pour son repos, son travail, ou ses plaisirs !
Pourquoi donc le nombre des médecins-chauffeurs est-il encore si restreint, vu le nombre de ceux qui devraient l'être ? C'est que jusqu'ici l'automobile médical n'existait pas. Les constructeurs, avant en vue la clientèle spéciale des touristes ou des coureurs, n'ont pas songé à nous. Aussi, chauffeur de la première heure, n'ayant pas trouvé l'idéal de mes rêves, je me suis décidé à le faire construire moi-même, suivant un modèle qui remplit toutes les conditions qui me paraissent nécessaires, et qui le paraîtront sans doute à tous mes confrères.
Quelles sont donc ces conditions? simplicité, commodité, puissance, solidité, bon marché.
Bien que nos études antérieures nous aient mieux préparés que d'autres à la compréhension d'un mécanisme, nous ne sommes pas des mécaniciens. Il nous faut donc un mécanisme réduit à sa plus simple expression et demandant le minimum de surveillance.
Cette simplicité d'ailleurs évite l'usure et diminue les frais d'entretien. Il faut que toutes les pièces soient bien en vue, facilement abordables, pour que nous puissions nous-mêmes, ou que le premier forgeron venu puisse faire toutes les petites réparations nécessaires, et remplacer les pièces usées. Et il faut que nous puissions le faire sans salir nos mains, ni nos vêtements.
En second lieu, il faut que la voiture médicale passe partout : elle doit parcourir les chemins vicinaux et ruraux mal entretenus sans s'abîmer dans les ornières, et sans que la pluie ou la boue vienne endommager les pièces essentielles. Il faut également que les voyageurs ne soient pas trop secoués par le passage dans ces mauvais chemins. Pour cela un châssis indéformable, monté sur des pneus de marque, avec de bons ressorts. Quelques kilogrammes de plus ne font rien, s'ils garantissent contre tout accident.
Quelle puissance doit avoir le moteur ? Cela dépend évidemment des goûts de chacun, et de l'usage que l'on veut faire de sa voiture. Cinq chevaux pourront être utiles dans certains cas, mais dans les cas ordinaires, trois chevaux suffisent largement. Il ne faut pas oublier qu'un moteur dépense d'autant plus d'essence qu'il fait plus de force, et cela que la voiture roule vite ou lentement. Si l'on compte, par exemple, cinquante centimes par cheval-heure, un moteur de trois chevaux, faisant une moyenne de 30 kilomètres à l'heure (on ne peut faire davantage à la campagne) dépensera un sou par kilomètre, tandis qu'à la même moyenne de vitesse, un moteur de cinq chevaux dépensera de 7 à 8 centimes. A mille kilomètres par mois, cela fait 300 francs de plus par an.
C'est à l'intéressé à faire son choix. Pour moi, je trouve un moteur de trois chevaux suffisant pour une voiture médicale légère.
Avec cette force, je peux monter à bonne allure toutes les côtes de nos pays; je peux au besoin emmener trois autres personnes dans ma voiture, pour une excursion de famille, et je dépense moins
qu'avec des chevaux.
Quand j'aurai ajouté qu'il faut naturellement pouvoir mettre parasol en été, capote ou coupe-vent en hiver, qu'il faut que le médecin de campagne ait à sa disposition un grand coffre à médicaments, et qu'enfin la carrosserie doit présenter une certaine élégance, je crois que je n'aurai plus qu'à parler du prix.
C'est là la grosse affaire, surtout pour nous. Mais que l'on songe que cet automobile doit remplacer comme prix d'achat une voiture ordinaire et deux chevaux, et qu'on amortira ce prix par la diminution de la dépense quotidienne. Que d'autre part, on songe à la délicatesse des organes, et au travail énorme qu'on en exige, (certains moteurs tournent à 2.000 tours à la minute) ; qu'on pense que le moindre vice de construction peut faire arriver de terribles accidents, et l'on comprendra qu'il faut des matières premières excellentes et coûteuses, avec un fini qui ne peut être obtenu que par une main-d'œuvre et une surveillance bien rétribuées.
Si l'on évalue en outre, l'énorme mise de fonds nécessitée par l'installation d'un atelier de construction, par les études et les essais, on comprendra vite que le bon marché absolu n'est pas possible et qu'il faut mettre de 3 à 4.000 francs (c'est le prix de mes modèles) pour avoir toutes les qualités exigées d'une voiture pratique. Car je ne parle que de celle qui pourra faire le service qu'en attendent les médecins, et tous ceux qui exercent leur métier dans les mêmes conditions, notaires, huissiers, fonctionnaires, etc.
Chaque genre de profession doit avoir son modèle approprié. Au touriste, les voitures de touristes, aux médecins, les automobiles médicaux.